Du 16 au 20 avril 2015, je me suis rendu en Pologne dans le cadre d'un voyage de presse à l'invitation du CRIF - Conseil représentatif des institutions juives de France.
Nous avons passé une journée entière à découvrir les camps d'Auschwitz.
Depuis fort longtemps, je souhaitais me rendre à Auschwitz.
Jamais, une telle occasion ne s'était produite. Si je ne goûte pas en toutes circonstances la fréquentation de mes confrères et consoeurs, un tel voyage de presse est l'assurance d'une atmosphère studieuse et d'échanges de qualité et, de plus, le programme qui nous avait été concocté était sans équivalent.
Nous étions donc à Auschwitz le vendredi 17 avril 2015.
Si, depuis fort longtemps, je souhaitais me rendre à Auschwitz, je dois avouer que mes motivations étaient incertaines.
Au-delà du seul intérêt historique, je sais que j'y recherchais autre chose, autre chose de plus indéfinissable. Et comme le besoin, aussi, de dépasser un sentiment de responsabilité, de culpabilité et d'y trouver un supplément d'Humanité.
Quelques semaines plus tard, il m'est encore difficile d'ordonner mes pensées...
***
C’était en 1979, fin avril 1979 – le 29, journée nationale
du souvenir de la Déportation. J’avais 6 ans. Pour la deuxième année
consécutive, FR3 – le France 3 de ces temps reculés – avait diffusé à 21h30
« Nuit et Brouillard » d’Alain Resnais.
Je dormais chez mon arrière-grand-mère et, souvent ces
soirs-là, j’enfreignais allègrement le « couvre-feu » réglementaire.
Vaquant à ses occupations, elle n’entendit pas l’annonce de la speakerine et
déjà j’affutais mes arguments pour m’assurer une petite permission. « Il y
aurait des Allemands », pensais-je, comme j’anticipais la présence de
« cruels » Indiens dans les films de John Wayne…
Elle m’avait déjà tant dit sur les guerres, ses guerres, la
Deuxième et la Première dont, née en 1903, elle conservait encore des souvenirs
si vivaces. Elle m’en avait tant dit que, l’été, avec mes compagnons de plage,
en notre paradis de Normandie, nous partions sans cesse à la recherche des
« sablières », restes de cartouches du D-Day érodés par le sel. Elle
m’en avait tant dit que, lors de nos parties de « petits soldats »,
je préférais réinventer l’Histoire plutôt que de jouer le jeu des
« Boches ». Autour de nous, partout, 35 ans à peine après la fin de
la guerre, son souvenir était encore de première main, comme en couleur, si
proche…
Soudain, ma douce Mémé réapparut, se figea à quelques pas de
l’écran puis, en alerte septuagénaire, elle se rua vers le téléviseur et
l’éteignit d’un coup. Elle n’avait rien dit.
A 6 ans, même à 6 ans et demi, j’étais sans doute trop
petit. Et mes questions incessantes commençant par « Dis-moi, c’était
comment ? », et les récits de son retour de Bulgarie par le dernier
Orient-Express, de l’Exode puis de l’Occupation, ici et là, une arrestation,
une évasion, tout cela devait sans doute, selon elle, suffire amplement à
satisfaire mon enfantine curiosité…
Ma génération, celle de l’entre-deux-siècles, celle qui sera
la première des dernières à avoir touché cette Histoire de si près, ne
bénéficia pas, ni au collège ni au lycée,
d’un enseignement poussé de la Deuxième guerre mondiale en général, et
de la Shoah en particulier. Et puis j’avais cessé d’importuner mon
arrière-grand-mère avec ses « histoires de guerres »… Mais, plus
tard, beaucoup plus tard, alors que celle-ci s’apprêtait, plutôt fringante, à célébrer
son centenaire, nous revîmes ensemble, par hasard, les premières minutes de
« Nuit et Brouillard ».
Devant les images introductives en couleur, celle
d’Auschwitz en 1955, elle resta silencieuse, le regard fixe. A la séquence suivante, montage en noir et
blanc des archives nazies, elle leva doucement la tête au ciel, son regard bleu
vif devint comme laiteux et, vingt ans après, le petit garçon de 6 ans obtint
une réponse : « Nous ne savions pas, nous ne savions pas, tu
sais… »
***
même une
prairie avec des vols de corbeaux, des moissons et des feux d'herbe ;
même une route
où passent des voitures, des paysans, des couples ;
même un village
pour vacances, avec une foire et un clocher, peuvent conduire tout simplement à
un camp de concentration.
Le Struthof,
Oranienburg, Auschwitz, Neuengamme, Belsen, Ravensbrück, Dachau, Mauthausen
furent des noms comme les autres sur des cartes et des guides... »
Ainsi débute « Nuit et Brouillard », avec le
commentaire de Jean Cayrol sur des images en couleur tournées en 1955 par Alain
Resnais à Auschwitz, à Auschwitz II – Birkenau.
A notre arrivée sur le site en ce vendredi d’avril, je
conserve à l’esprit les mots simples de l’ancien déporté et, comme, par
instant, le soleil perce, ce sont des images assez semblables qui s’offrent à
nous.
70 ans après la libération du camp, 60 ans après le tournage
de ce documentaire, première véritable recollection historique, les mêmes deux
rangées de barbelés entrecoupées de miradors ; A gauche, des restes de
baraquements et, à droite, des cheminées au milieu des débris d’autres
baraquements, d’autres blocs.
Sous nos yeux déjà, à perte de vue, toutes les preuves, même
s’il n’en fallait pas, du caractère industriel des modes opératoires nazis. A
gauche, BIa, Bib, à droite, BIIa, BIIb, BIIc, BIId, BIIe, BIIf… et, à la droite
de la droite, BIII que l’on nous explique inachevé…
Ce que, en fin de compte, aucune description ne m’avait
jamais donné authentiquement à envisager, ma première leçon de cette visite à
Auschwitz II - Birkenau, c’est l’incommensurable immensité des lieux. Si, tout
autour, la vie regagne peu à peu du terrain – et l’on pourrait d’ailleurs s’en
offusquer et, sans réfléchir, par principe, l’on s’en offusque d’ailleurs -, l’espace
occupé par les camps, tels qu’à leurs « apogées », reste clairement
délimité, d’une dimension inimaginable. Inimaginable à première vue,
inimaginable après neuf heures de marche, inimaginable toujours.
***
Nous franchissons le porche d’Auschwitz II – Birkenau. Et une
première idée reçue est balayée, une confusion entre le portail de fer à
l’inscription « Arbeit Macht Frei » et ce porche de bois avec sa
tourelle et ses deux ailes. J’imaginais bien mal.
En marchant, lentement, le long des rails du chemin de fer,
nous atteignons, quelques dizaines de mètres plus loin, le terminus des convois
de la fin de la guerre, là où les Nazis procédaient à la sélection des déportés.
Dans la tête, comme des cris, des hurlements, des aboiements
et, tout autour, un profond silence. Une fois encore, s’entrechoquent des
images comme galvaudées, celles en couleur des reconstructions
cinématographiques et les autres, réelles, en noir et blanc, des archives
nazies ou soviétiques. Ce lieu et ce qui s’y passait quand les SS et leurs
chiens scellaient, une première ou dernière fois, le destin des déportés nous a
été rendu, d’une certaine manière, familier par les témoignages des survivants
et de leurs bourreaux et par toutes les reconstructions que ceux-ci ont rendu
possibles.
Le gigantisme du lieu, ce portail, la ligne de chemin de fer,
le bureau des services de sélection et, partout, les restes des
« blocks »… En l’état, l’horreur et les outils de sa mise en œuvre,
ce qu’il en reste, demeurent appréhendables. En l’état, nous demeurons dans le
documenté, l’attendu, le connu, le déjà su. Prélude à la visite.
Et les explications de notre « guide officielle »
se cantonnent au récit prudent de l’historiographie officielle. A plusieurs
reprises, surtout lorsqu’il est question de chiffres, celle-ci use de
précautions et précise qu’elle ne nous fournit que « des informations
qu’elle est en mesure de prouver ». Au diable, les précautions. Au diable,
l’historiographie… A jamais, ici plus qu’ailleurs, toute unité au-dessus de
zéro est déjà une de trop.
Entre les blocks, intacts ou en ruines, l’herbe est bien
verte en ce début de printemps et, par diversion et protection plutôt qu’indécence,
mon attention se concentre sur cette herbe étonnamment apaisante et les mots de
Jean Cayrol retentissent à nouveau… « Une drôle d’herbe a poussé et recouvert la
terre usée par le piétinement des concentrationnaires ».
***
Oui, du temps a passé. Ce temps qui a passé et passe n’a
évidemment rien d’anodin. Sans doute n’a-t-il pas encore permis de résoudre
pleinement et définitivement les questions du Souvenir et de la Mémoire, les
conditions du « Plus jamais ça ». Sans doute aussi se prépare-t-il à
nous imposer, à chacun et à tous, un challenge inédit alors que, naturellement,
bientôt, disparaîtront les derniers survivants, les derniers témoins.
Pourtant, là, dès les premiers pas, il apparait évident,
inévitable que le temps, en ces lieux, ne s’écoule pas linéairement.
Notre « guide officielle » sur place puis, quelques
jours plus tard, Piotr Cywinski, directeur du musée d’Auschwitz, lors d’une
rencontre à Varsovie, insisteront sur les efforts techniques et scientifiques,
coûteux, mis en œuvre pour la protection des installations, leur entretien et
leur rénovation.
Il est indispensable de préserver ces lieux et de conserver
tout ce qui demeure, tel quel ou presque, depuis 1945 et la libération des
camps. Mais Auschwitz II – Birkenau n’est pas et ne saurait être un musée. Et,
vite, il est perceptible que l’essentiel n’est pas tant ce que l’on s’attend à
y voir, ni même ce que l’on peut, littéralement, y voir. L’essentiel, c’est ce
que l’on y ressent, ce que l’on y éprouve.
***
Cette visite à
Ausschwitz II – Birkenau et l’ensemble de ce séjour en Pologne se sont faits en
compagnie de Tal Bruttmann, historien français, auteur de nombreux ouvrages et,
notamment, d’un Auschwitz, publié aux
éditions La Découverte en 2015. Ce
fut un réel privilège et une aide précieuse que de suivre ses explications au
cours de cette visite, comme ailleurs.
J’en retiens, notamment, plusieurs éléments, des éléments qui
auront sans doute profondément influencé mon expérience des lieux, et donc ma
compréhension renouvelée de ce que je croyais, comme tant, tout simplement,
comprendre…
Tout d’abord, alors que nous nous éloignons de la zone de sélection,
Tal Bruttmann établit clairement la distinction entre « camp de
concentration » et « centre de mise à mort ». On comprend sans
explication la différence la plus évidente. Mais il est une conséquence
essentielle de cette différence, l’absence – en dehors, évidemment, des
documents, photos et films nazis – de récits, de témoignages, d’éléments
permettant de comprendre ce que pouvaient alors ressentir, éprouver ces
enfants, ces femmes et ces hommes destinés à la mort. A peine a-t-on imaginé
que, soulagés, aux termes d’un long périple ferroviaire dans les conditions que
l’on sait, ils pouvaient croire à la douche et à la soupe que leurs monstrueux
bourreaux leur promettaient…
Jamais, ceux-ci n’ont revêtu la tenue à rayures devenu un des
symboles de ces camps. Jamais ils n’ont pénétré dans un block, comme celui que
nous visiterons plus tard, pour y dormir entassés sur des paillasses. Aux
termes d’un parcours réduit au minimum par l’industrie de mort nazie, leurs
morts furent immédiates, quelques minutes, quelques dizaines de minutes au
plus.
Et dans la visite aussi, le temps s’accélère et le gigantisme
des espaces, la toute première impression, s’efface remplacée par la petitesse
de la distance entre ce qu’il restait de vie et la mort.
Aussi, devant les premières ruines d’une première chambre à
gaz, une installation détruite par les Nazis eux-mêmes aux derniers
moments de leur déroute, il apparait certain qu’il est et sera inutile de
tenter d’imaginer ce que pouvaient ressentir les martyrs aux termes de leur
calvaire.
Certes, cette tentation d’imaginer est, par certains côtés,
légitime. Elle est tout simplement humaine et tellement en ligne avec notre
époque, cette époque qui place au-dessus de tout l’expérience, mais, surtout,
les expériences. Ici, à Auschwitz, c’est inutile, sans même savoir si c’est
déplacé, indécent. C’est inutile parce que, même pour celui qui a admis,
intégré, compris le caractère extraordinaire d’Auschwitz, la géographie des
lieux et la logique qu’elle illustre dépasse l’entendement, l’imaginable.
***
Notre visite se tenait au lendemain de la « Marche des
vivants ». Et nous allions croiser plusieurs groupes retardataires.
Nous les reconnaissions, de loin, à la mosaïque de drapeaux
israéliens qu’ils constituaient vus de dos et de loin. Et nous les
reconnaissions aussi aux voix portantes des grands adolescents qui les constituaient.
Plus tard, alors que nous traversions un sous-bois après le
monument aux victimes et la deuxième ruine de chambre à gaz, Tal Bruttmann
évoquait le Kanada vers lequel nous nous dirigions. Soudain, l’accompagnatrice
d’un de ses groupes vint nous barrer la route en nous sommant, à grands gestes,
de faire silence. Ces jeunes gens témoignait du sort de leurs grands-parents,
de leurs arrière- ou arrière-arrière-grands-parents.
Forcément, là, je m’interroge, je me pose LA question, celle
qui consiste à me demander si mon expérience et l’expérience, les expériences
de ces jeunes gens de confession juive et pour lesquels la Shoah est aussi un
drame familial sont du même ordre et à me demander aussi qui sont ces vivants,
qui sont les vivants au sens, bien sûr, de survivants des morts, de ces morts.
J’y pense toujours et j’y ai pensé aussi durant notre
rencontre avec le directeur du musée d’Auschwitz, Piotr Cywinski, quand
celui-ci nous a lancé, dans français parfait mâtiné d’un étonnant accent
suisse, un « Bah non, pourquoi ? » à la question de savoir s’il
était juif.
Cette question, que, forcément, nous poserions, ne
traduit-elle pas la perception dominante de notre rapport collectif à Auschwitz et
à toute la force symbolique dont nous avons doté le nom
« Auschwitz » ?
Oui, on peut le penser.
Mais la réponse, les réponses, celle du Polonais catholique,
celle de l’Israélienne juive et celle du Français protestant – que je suis –
traduisent le rapport intime de chacun à « Auschwitz.
Je devais donc effectivement, jusque-là, je l’admets,
entretenir une certaine distance,
traduisible par un « comment a-t-on leur faire ça ? » ou,
plutôt, par un « comment a-t-on pu laisser leur faire ça ? », sorte
d’écho à ce « Nous ne savions pas, tu sais »…
J’en étais, probablement, encore là quand, sortis des limites
du camp, nous sommes arrivés devant un joli carré d’herbe verte entouré d’une
haie de tuyas et d’un grillage moderne.
A cet instant, Tal Bruttmann nous annonce que c’est ici que
sont morts, après trois kilomètres de marche depuis la Judenrampe, premier
point de débarquement des déportés, les rescapés des 13 152 Juifs
étrangers parisiens arrêtés dans le cadre de la rafle du Vel d’Hiv le 16 juillet
1942.
Leur destination finale a donc été une chambre à gaz
installée dans une ferme isolée devant laquelle ils se sont déshabillés et
derrière laquelle leurs dépouilles ont été jeté dans un immense charnier… Là.
Sans pouvoir prétendre que nous ne savions pas, nous avions
laissé faire, nous avions laissé leur faire ça, nous avions laissé nous faire
ça.
***
De retour dans l’enceinte des camps, nous nous sommes
enfoncés dans un sous-bois.
Notre objectif, une clairière. Cette clairière, le dernier
repos des victimes de la Rafle, là où leurs corps, une fois le charnier rempli
et quand les cadavres, sous l’effet des intempéries, ont commencé à ressortir
de terre, ont été incinérés à ciel ouvert.
Partout, sous la couche superficielle de mousse, une terre
blanchâtre. Non, je n’imagine pas qu’il puisse s’agir de ce que je m’imagine.
Et pourtant, si. Si, cette terre blanchâtre est le produit des cendres et de la
chaux répandue sur les cadavres à des fins, horrible terme technique,
prophylactiques…
Certains doutent encore ? D’autres minimisent l’importance
historique des faits ? Beaucoup s’interrogent, comme moi, d’une certaine
manière, au début de cette journée, sur ces lieux, sur ce qu’il nous est donné
à voir et leçons à en tirer ?
Et puis il y a cette terre, cette terre qui refuse et
refusera à jamais de laisser disparaître les traces de l’innommable dont elle a
été le témoin, la complice contre son gré.
On ne voudrait pas poser ses pas sur ces traces, sur les
restes de ces corps, sur le souvenir de leur martyre. Impossible car mieux
encore que tout ce qu’il reste des camps, c’est la terre d’Auschwitz qui
conserve en son sein les traces, les restes, le souvenir de ce martyre.
1,2 millions de martyrs, des enfants, des femmes, des hommes,
innocents, réduits en cendre au nom de l’idéologie la plus mortifère de l’Histoire,
assassinés, pour l’essentiel, juste parce qu’ils étaient Juifs.
***
Les leçons d’une telle journée sont éminemment personnelles,
touchant au plus intime.
Je crois pouvoir affirmer, sans forfanterie, que ma
connaissance de ce qui s’est passé à Auschwitz était, depuis mes plus jeunes
années, supérieure à la « moyenne ». Et cette connaissance s’accompagnait
d’une réflexion sur la signification de ces lieux et de ces faits. Mais, je
dois avouer que je n’avais pas imaginé ce que j’allais ressentir sur place.
Faut-il encourager de telles visites ? Est-ce que chacun
d’entre nous devrait s’y rendre pour constater par soi-même l’inimaginable ?
C’est une question difficile à laquelle je souhaiterais
pouvoir simplement et définitivement répondre par l’affirmative.
Mais je sais, si je crois ce qui m’a été rapporté, que
certains enseignants dans certains établissements, sur les conseils des
autorités publiques, ont été contraint d’y renoncer par crainte qu’une telle
visite pédagogique ait l’effet inverse de celui escompter, que certains jeunes,
mal informés, influencés par de nouvelles poussées négationnistes ou révisionnistes,
y voient, au contraire, la preuve qu’il est possible d’éradiquer des êtres
humains à l’échelle industrielle.
Si c’est vrai, c’est inqualifiable et il convient de le
dénoncer.
Et si c’est vrai, c’est bien la preuve que la préservation du
Souvenir, l’entretien de la Mémoire sont l’affaire de tous, de tous ceux qui
revendiquent leur appartenance à l’Humanité dans sa globalité.
A travers plus d’un million de Juifs, c’est bien l’Humanité, la
Civilisation et la Modernité que les Nazis ont voulu éradiquer à Auschwitz.
Plus que jamais, face à la montée de ces nouveaux
obscurantismes qui, à leur tour, menacent Modernité, Civilisation et Humanité,
il appartient sans doute à tous les vivants de marcher pour que l’Histoire ne
puisse en aucun cas risquer de se répéter.
***
A la sortie d’Auschwitz II – Birkenau, nous remarquons la
présence d’une équipe de télévision.
Un journaliste interviewe un homme. Jusque-là, rien d’exceptionnel.
Rien d’exceptionnel sauf que cet homme n’est autre que Rainer Höss, le
petit-fils de Rudolf Höss, commandant SS des camps d’Auschwitz, l’exécutant en
chef de la Solution finale, responsable de tous les morts d’Auschwitz.
Manifestement affecté par le lourd passé familial, Rainer
Höss, 49 ans, est devenu la coqueluche de certains médias allemands – et internationaux
– dans sa quête de rédemption.
Pour Primo Levi, le grand-père de Rainer Höss, Rudolf, « un
homme vide, un idiot tranquille et empressé qui s'efforce d'accomplir avec le
plus de soin possible les initiatives bestiales qu'on lui confie, et qui semble
trouver dans cette obéissance un total assouvissement de ses doutes et de ses
inquiétudes ».
J’avoue comprendre avec difficulté que l’on puisse, ayant
hérité d’un tel fardeau, d’une telle hérédité, opter pour l’exposition
médiatique.
Rainer Höss mène une croisade personnelle pour la
réhabilitation de son nom de famille. Entre autres initiatives, il s’est fait
tatouer une étoile de David et les numéros de survivants qu’il a rencontrés.
En janvier dernier, Rainer Höss a été adopté. Il a été officieusement
adopté par une Américaine, âgée de 80 ans et vivant dans l’Indiana, Eva Mozes
Kor.
Eva Mozes Kor et sa sœur jumelle, Miriam, ont été déportées à
Auschwitz depuis la Roumanie. Tous les autres membres de leur famille ont été
assassinés, elles ont été soumises aux expériences médicales du docteur Mengele
mais elles ont survécu.
Rainer Höss ne peut pas prétendre que son grand-père ne
savait pas.
Compassion et contrition sont histoires de conscience… et
Auschwitz impose à chacun un examen de conscience, un examen de conscience permanent.
No comments:
Post a Comment