Monday 11 May 2015

ARCHIVES - Le djihadisme dans tous ses états : Connaître son ennemi

A l'automne 2014, JOL Press, le "pureplayer" d'actualité internationale dont j'assumais la rédaction en chef, a produit, en partenariat avec La Nouvelle Revue Géopolitique, un numéro "hors-série" consacré au "djihadisme dans tous ses états". 

Trois mois avant les attaques terroristes conduitent à Paris en janvier 2015, mon édito...





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29 juin 2014. Sous le nom d’Ibrahim, descendant du Prophète, Abou Bakr al-Baghdadi s’autoproclame « calife ». En ce premier jour de Ramadan, son organisation, « l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) », devient l’État islamique, un califat. Début juillet, le calife Ibrahim fait, à Mossoul en Irak, sa première apparition publique appelant les musulmans du monde entier à lui « obéir »…

La veille du 29 juin, les principaux dirigeants du monde, réunis à Sarajevo, se souvenaient de l’attentat qui avait coûté la vie à François-Ferdinand, archiduc d’Autriche, commémorant l’étincelle qui allait, en un mois, déclencher la plus grande boucherie de l’Histoire.

Trois semaines plus tôt, le 6 juin, les mêmes – ou presque –, sur les plages de Normandie, en présence des derniers vétérans, revivaient les grandes heures du D-Day.

Sur les berges de la rivière Miljacka comme sur les plages du Calvados, une même promesse intemporelle : « Plus jamais ça ! »

Comparaison n’est pas raison et, en histoire ou en géopolitique, comme en toutes choses convient-il d’être prudent avec les raccourcis… Mais comment oublier qu’il y a 25 ans – déjà - avec la chute du Mur de Berlin, l’effondrement de l’empire soviétique et la fin de la Guerre froide, un savant américain nous prédisait la fin de l’Histoire. Et comment ne pas constater, en ces temps de commémorations, que l’Histoire paraît plus que jamais - en deux générations au moins – déterminée à se répéter en ses développements les plus tragiques, obscures et mortifères.

Face à la montée de ces nouveaux périls, dans une époque encline à l’amnésie, on ne jouera jamais assez le rôle de Cassandre…

De nouveaux périls… Quels nouveaux périls ?

Il y a évidemment la crise, cette crise financière puis économique et désormais polymorphe, sociale, politique, morale, identitaire…

Il y a, en outre, la résurgence de conflits locaux qui, menaçant potentiellement les intérêts de puissances globales, risquent de dégénérer en conflagrations plus vastes : la crise russo-ukrainienne (cf. la précédent parution de la Nouvelle Revue Géopolitique), les tensions sino-japonaises autour de quelques îlots du Pacifique, l’Arctique devenu enjeu économique en raison du réchauffement de la
planète, les migrations climatiques…

Nous avons choisi de consacrer le dossier central de votre revue au djihadisme dans tous ses états en nous appuyant sur les meilleurs experts de ces questions.

Certes, le terme « djihadisme » alimente maintes querelles sémantiques. Pour certains, ce serait prendre le risque de stigmatiser, d’associer l’ensemble des musulmans du monde à de funestes ambitions qui les dépassent pour la plupart et dans lesquels, assurément, ils ne se reconnaissent pas.

Faudrait-il alors préférer le terme de « terroriste » et placer entre guillemets « L’État islamique » ou évoquer, pudiquement, « daesh » ou « daech » - cachant derrière cet incompréhensible acronyme une réalité que nous ne saurions voir ni assumer.

Pourtant, c’est bien au djihad qu’appellent le calife al-Baghdadi et son État islamique, les restes d’al-Qaïda et toutes les organisations qui, dans un vaste arc de violences, de la frontière turque aux confins du Mali, de la Libye au Nigéria, s’efforcent de déstabiliser les pouvoirs en place et d’imposer leur idéologie mortifère.

Ce « djihadisme dans tous ses états », que l’on pourrait également qualifier d’ « islamo-fascisme », est une perversion de l’islam, comme autrefois – il n’y a pas si longtemps – d’autres idéologies mortifères, en –ismes elles aussi - en Allemagne, en Russie et ailleurs, sont venus pervertir d’autres idéaux, comme ceux des Lumières ou de l’héritage judéo-chrétien.

Qui sait à quelle date, les historiens, dans les décennies à venir, feront dater le commencement de cette guerre conduite par ces islamo-fascistes contre tous ceux qu’ils perçoivent comme les ennemis de « leur » islam, l’islam le plus rétrograde et le plus barbare ?

Dans le sillage de la Bosnie dès 1992, après le 11-septembre, avec la guerre d’Afghanistan, la seconde guerre d’Irak ou le 29 juin 2014…

Une chose est sûre… Ce conflit est une guerre, une « guerre transfrontalière » devenue mondiale – de Washington à Paris et même à Téhéran et Riyadh - contre le djihadisme, l’obscurantisme, la barbarie.

Et pour mieux l’appréhender et le combattre, il importe, avant tout, de connaitre « l’ennemi », sans le surestimer ni le sous-estimer.

Sunday 10 May 2015

Découvrir Auschwitz en 2015 - Réflexions inabouties


Du 16 au 20 avril 2015, je me suis rendu en Pologne dans le cadre d'un voyage de presse à l'invitation du CRIF - Conseil représentatif des institutions juives de France.

Nous avons passé une journée entière à découvrir les camps d'Auschwitz.

Depuis fort longtemps, je souhaitais me rendre à Auschwitz. 

Jamais, une telle occasion ne s'était produite. Si je ne goûte pas en toutes circonstances la fréquentation de mes confrères et consoeurs, un tel voyage de presse est l'assurance d'une atmosphère studieuse et d'échanges de qualité et, de plus, le programme qui nous avait été concocté était sans équivalent.

Nous étions donc à Auschwitz le vendredi 17 avril 2015.

Si, depuis fort longtemps, je souhaitais me rendre à Auschwitz, je dois avouer que mes motivations étaient incertaines. 

Au-delà du seul intérêt historique, je sais que j'y recherchais autre chose, autre chose de plus indéfinissable. Et comme le besoin, aussi, de dépasser un sentiment de responsabilité, de culpabilité et d'y trouver un supplément d'Humanité.

Quelques semaines plus tard, il m'est encore difficile d'ordonner mes pensées...

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C’était en 1979, fin avril 1979 – le 29, journée nationale du souvenir de la Déportation. J’avais 6 ans. Pour la deuxième année consécutive, FR3 – le France 3 de ces temps reculés – avait diffusé à 21h30 « Nuit et Brouillard » d’Alain Resnais.

Je dormais chez mon arrière-grand-mère et, souvent ces soirs-là, j’enfreignais allègrement le « couvre-feu » réglementaire. Vaquant à ses occupations, elle n’entendit pas l’annonce de la speakerine et déjà j’affutais mes arguments pour m’assurer une petite permission. « Il y aurait des Allemands », pensais-je, comme j’anticipais la présence de « cruels » Indiens dans les films de John Wayne…

Elle m’avait déjà tant dit sur les guerres, ses guerres, la Deuxième et la Première dont, née en 1903, elle conservait encore des souvenirs si vivaces. Elle m’en avait tant dit que, l’été, avec mes compagnons de plage, en notre paradis de Normandie, nous partions sans cesse à la recherche des « sablières », restes de cartouches du D-Day érodés par le sel. Elle m’en avait tant dit que, lors de nos parties de « petits soldats », je préférais réinventer l’Histoire plutôt que de jouer le jeu des « Boches ». Autour de nous, partout, 35 ans à peine après la fin de la guerre, son souvenir était encore de première main, comme en couleur, si proche…

Soudain, ma douce Mémé réapparut, se figea à quelques pas de l’écran puis, en alerte septuagénaire, elle se rua vers le téléviseur et l’éteignit d’un coup. Elle n’avait rien dit.

A 6 ans, même à 6 ans et demi, j’étais sans doute trop petit. Et mes questions incessantes commençant par « Dis-moi, c’était comment ? », et les récits de son retour de Bulgarie par le dernier Orient-Express, de l’Exode puis de l’Occupation, ici et là, une arrestation, une évasion, tout cela devait sans doute, selon elle, suffire amplement à satisfaire mon enfantine curiosité…

Ma génération, celle de l’entre-deux-siècles, celle qui sera la première des dernières à avoir touché cette Histoire de si près, ne bénéficia pas, ni au collège ni au lycée,  d’un enseignement poussé de la Deuxième guerre mondiale en général, et de la Shoah en particulier. Et puis j’avais cessé d’importuner mon arrière-grand-mère avec ses « histoires de guerres »… Mais, plus tard, beaucoup plus tard, alors que celle-ci s’apprêtait, plutôt fringante, à célébrer son centenaire, nous revîmes ensemble, par hasard, les premières minutes de « Nuit et Brouillard ».

Devant les images introductives en couleur, celle d’Auschwitz en 1955, elle resta silencieuse, le regard fixe.  A la séquence suivante, montage en noir et blanc des archives nazies, elle leva doucement la tête au ciel, son regard bleu vif devint comme laiteux et, vingt ans après, le petit garçon de 6 ans obtint une réponse : « Nous ne savions pas, nous ne savions pas, tu sais… »  

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« Même un paysage tranquille ;

même une prairie avec des vols de corbeaux, des moissons et des feux d'herbe ;

même une route où passent des voitures, des paysans, des couples ;

même un village pour vacances, avec une foire et un clocher, peuvent conduire tout simplement à un camp de concentration.

Le Struthof, Oranienburg, Auschwitz, Neuengamme, Belsen, Ravensbrück, Dachau, Mauthausen furent des noms comme les autres sur des cartes et des guides... »

Ainsi débute « Nuit et Brouillard », avec le commentaire de Jean Cayrol sur des images en couleur tournées en 1955 par Alain Resnais à Auschwitz, à Auschwitz II – Birkenau.

A notre arrivée sur le site en ce vendredi d’avril, je conserve à l’esprit les mots simples de l’ancien déporté et, comme, par instant, le soleil perce, ce sont des images assez semblables qui s’offrent à nous.

70 ans après la libération du camp, 60 ans après le tournage de ce documentaire, première véritable recollection historique, les mêmes deux rangées de barbelés entrecoupées de miradors ; A gauche, des restes de baraquements et, à droite, des cheminées au milieu des débris d’autres baraquements, d’autres blocs. 

Sous nos yeux déjà, à perte de vue, toutes les preuves, même s’il n’en fallait pas, du caractère industriel des modes opératoires nazis. A gauche, BIa, Bib, à droite, BIIa, BIIb, BIIc, BIId, BIIe, BIIf… et, à la droite de la droite, BIII que l’on nous explique inachevé…

Ce que, en fin de compte, aucune description ne m’avait jamais donné authentiquement à envisager, ma première leçon de cette visite à Auschwitz II - Birkenau, c’est l’incommensurable immensité des lieux. Si, tout autour, la vie regagne peu à peu du terrain – et l’on pourrait d’ailleurs s’en offusquer et, sans réfléchir, par principe, l’on s’en offusque d’ailleurs -, l’espace occupé par les camps, tels qu’à leurs « apogées », reste clairement délimité, d’une dimension inimaginable. Inimaginable à première vue, inimaginable après neuf heures de marche, inimaginable toujours.

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Nous franchissons le porche d’Auschwitz II – Birkenau. Et une première idée reçue est balayée, une confusion entre le portail de fer à l’inscription « Arbeit Macht Frei » et ce porche de bois avec sa tourelle et ses deux ailes. J’imaginais bien mal.

En marchant, lentement, le long des rails du chemin de fer, nous atteignons, quelques dizaines de mètres plus loin, le terminus des convois de la fin de la guerre, là où les Nazis procédaient à la sélection des déportés.

Dans la tête, comme des cris, des hurlements, des aboiements et, tout autour, un profond silence. Une fois encore, s’entrechoquent des images comme galvaudées, celles en couleur des reconstructions cinématographiques et les autres, réelles, en noir et blanc, des archives nazies ou soviétiques. Ce lieu et ce qui s’y passait quand les SS et leurs chiens scellaient, une première ou dernière fois, le destin des déportés nous a été rendu, d’une certaine manière, familier par les témoignages des survivants et de leurs bourreaux et par toutes les reconstructions que ceux-ci ont rendu possibles.

Le gigantisme du lieu, ce portail, la ligne de chemin de fer, le bureau des services de sélection et, partout, les restes des « blocks »… En l’état, l’horreur et les outils de sa mise en œuvre, ce qu’il en reste, demeurent appréhendables. En l’état, nous demeurons dans le documenté, l’attendu, le connu, le déjà su. Prélude à la visite.

Et les explications de notre « guide officielle » se cantonnent au récit prudent de l’historiographie officielle. A plusieurs reprises, surtout lorsqu’il est question de chiffres, celle-ci use de précautions et précise qu’elle ne nous fournit que « des informations qu’elle est en mesure de prouver ». Au diable, les précautions. Au diable, l’historiographie… A jamais, ici plus qu’ailleurs, toute unité au-dessus de zéro est déjà une de trop.

Entre les blocks, intacts ou en ruines, l’herbe est bien verte en ce début de printemps et, par diversion et protection plutôt qu’indécence, mon attention se concentre sur cette herbe étonnamment apaisante et les mots de Jean Cayrol  retentissent à nouveau… « Une drôle d’herbe a poussé et recouvert la terre usée par le piétinement des concentrationnaires ».

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Oui, du temps a passé. Ce temps qui a passé et passe n’a évidemment rien d’anodin. Sans doute n’a-t-il pas encore permis de résoudre pleinement et définitivement les questions du Souvenir et de la Mémoire, les conditions du « Plus jamais ça ». Sans doute aussi se prépare-t-il à nous imposer, à chacun et à tous, un challenge inédit alors que, naturellement, bientôt, disparaîtront les derniers survivants, les derniers témoins.

Pourtant, là, dès les premiers pas, il apparait évident, inévitable que le temps, en ces lieux, ne s’écoule pas linéairement.

Notre « guide officielle » sur place puis, quelques jours plus tard, Piotr Cywinski, directeur du musée d’Auschwitz, lors d’une rencontre à Varsovie, insisteront sur les efforts techniques et scientifiques, coûteux, mis en œuvre pour la protection des installations, leur entretien et leur rénovation.

Il est indispensable de préserver ces lieux et de conserver tout ce qui demeure, tel quel ou presque, depuis 1945 et la libération des camps. Mais Auschwitz II – Birkenau n’est pas et ne saurait être un musée. Et, vite, il est perceptible que l’essentiel n’est pas tant ce que l’on s’attend à y voir, ni même ce que l’on peut, littéralement, y voir. L’essentiel, c’est ce que l’on y ressent, ce que l’on y éprouve.

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 Cette visite à Ausschwitz II – Birkenau et l’ensemble de ce séjour en Pologne se sont faits en compagnie de Tal Bruttmann, historien français, auteur de nombreux ouvrages et, notamment, d’un Auschwitz, publié aux éditions La Découverte en 2015. Ce fut un réel privilège et une aide précieuse que de suivre ses explications au cours de cette visite, comme ailleurs.

J’en retiens, notamment, plusieurs éléments, des éléments qui auront sans doute profondément influencé mon expérience des lieux, et donc ma compréhension renouvelée de ce que je croyais, comme tant, tout simplement, comprendre…

Tout d’abord, alors que nous nous éloignons de la zone de sélection, Tal Bruttmann établit clairement la distinction entre « camp de concentration » et « centre de mise à mort ». On comprend sans explication la différence la plus évidente. Mais il est une conséquence essentielle de cette différence, l’absence – en dehors, évidemment, des documents, photos et films nazis – de récits, de témoignages, d’éléments permettant de comprendre ce que pouvaient alors ressentir, éprouver ces enfants, ces femmes et ces hommes destinés à la mort. A peine a-t-on imaginé que, soulagés, aux termes d’un long périple ferroviaire dans les conditions que l’on sait, ils pouvaient croire à la douche et à la soupe que leurs monstrueux bourreaux leur promettaient…

Jamais, ceux-ci n’ont revêtu la tenue à rayures devenu un des symboles de ces camps. Jamais ils n’ont pénétré dans un block, comme celui que nous visiterons plus tard, pour y dormir entassés sur des paillasses. Aux termes d’un parcours réduit au minimum par l’industrie de mort nazie, leurs morts furent immédiates, quelques minutes, quelques dizaines de minutes au plus.

Et dans la visite aussi, le temps s’accélère et le gigantisme des espaces, la toute première impression, s’efface remplacée par la petitesse de la distance entre ce qu’il restait de vie et la mort.

Aussi, devant les premières ruines d’une première chambre à gaz, une installation détruite par les Nazis eux-mêmes aux derniers moments de leur déroute, il apparait certain qu’il est et sera inutile de tenter d’imaginer ce que pouvaient ressentir les martyrs aux termes de leur calvaire.

Certes, cette tentation d’imaginer est, par certains côtés, légitime. Elle est tout simplement humaine et tellement en ligne avec notre époque, cette époque qui place au-dessus de tout l’expérience, mais, surtout, les expériences. Ici, à Auschwitz, c’est inutile, sans même savoir si c’est déplacé, indécent. C’est inutile parce que, même pour celui qui a admis, intégré, compris le caractère extraordinaire d’Auschwitz, la géographie des lieux et la logique qu’elle illustre dépasse l’entendement, l’imaginable.

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Notre visite se tenait au lendemain de la « Marche des vivants ». Et nous allions croiser plusieurs groupes retardataires.

Nous les reconnaissions, de loin, à la mosaïque de drapeaux israéliens qu’ils constituaient vus de dos et de loin. Et nous les reconnaissions aussi aux voix portantes des grands adolescents qui les constituaient.

Plus tard, alors que nous traversions un sous-bois après le monument aux victimes et la deuxième ruine de chambre à gaz, Tal Bruttmann évoquait le Kanada vers lequel nous nous dirigions. Soudain, l’accompagnatrice d’un de ses groupes vint nous barrer la route en nous sommant, à grands gestes, de faire silence. Ces jeunes gens témoignait du sort de leurs grands-parents, de leurs arrière- ou arrière-arrière-grands-parents.

Forcément, là, je m’interroge, je me pose LA question, celle qui consiste à me demander si mon expérience et l’expérience, les expériences de ces jeunes gens de confession juive et pour lesquels la Shoah est aussi un drame familial sont du même ordre et à me demander aussi qui sont ces vivants, qui sont les vivants au sens, bien sûr, de survivants des morts, de ces morts.

J’y pense toujours et j’y ai pensé aussi durant notre rencontre avec le directeur du musée d’Auschwitz, Piotr Cywinski, quand celui-ci nous a lancé, dans français parfait mâtiné d’un étonnant accent suisse, un « Bah non, pourquoi ? » à la question de savoir s’il était juif.

Cette question, que, forcément, nous poserions, ne traduit-elle pas la perception dominante de notre rapport collectif à Auschwitz et à toute la force symbolique dont nous avons doté le nom « Auschwitz » ?

Oui, on peut le penser.

Mais la réponse, les réponses, celle du Polonais catholique, celle de l’Israélienne juive et celle du Français protestant – que je suis – traduisent le rapport intime de chacun à « Auschwitz.

Je devais donc effectivement, jusque-là, je l’admets, entretenir une certaine distance,  traduisible par un « comment a-t-on leur faire ça ? » ou, plutôt, par un « comment a-t-on pu laisser leur faire ça ? », sorte d’écho à ce « Nous ne savions pas, tu sais »…

J’en étais, probablement, encore là quand, sortis des limites du camp, nous sommes arrivés devant un joli carré d’herbe verte entouré d’une haie de tuyas et d’un grillage moderne.

A cet instant, Tal Bruttmann nous annonce que c’est ici que sont morts, après trois kilomètres de marche depuis la Judenrampe, premier point de débarquement des déportés, les rescapés des 13 152 Juifs étrangers parisiens arrêtés dans le cadre de la rafle du Vel d’Hiv le 16 juillet 1942.

Leur destination finale a donc été une chambre à gaz installée dans une ferme isolée devant laquelle ils se sont déshabillés et derrière laquelle leurs dépouilles ont été jeté dans un immense charnier… Là.

Sans pouvoir prétendre que nous ne savions pas, nous avions laissé faire, nous avions laissé leur faire ça, nous avions laissé nous faire ça.

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De retour dans l’enceinte des camps, nous nous sommes enfoncés dans un sous-bois.
Notre objectif, une clairière. Cette clairière, le dernier repos des victimes de la Rafle, là où leurs corps, une fois le charnier rempli et quand les cadavres, sous l’effet des intempéries, ont commencé à ressortir de terre, ont été incinérés à ciel ouvert.

Partout, sous la couche superficielle de mousse, une terre blanchâtre. Non, je n’imagine pas qu’il puisse s’agir de ce que je m’imagine. Et pourtant, si. Si, cette terre blanchâtre est le produit des cendres et de la chaux répandue sur les cadavres à des fins, horrible terme technique, prophylactiques…

Certains doutent encore ? D’autres minimisent l’importance historique des faits ? Beaucoup s’interrogent, comme moi, d’une certaine manière, au début de cette journée, sur ces lieux, sur ce qu’il nous est donné à voir et leçons à en tirer ?

Et puis il y a cette terre, cette terre qui refuse et refusera à jamais de laisser disparaître les traces de l’innommable dont elle a été le témoin, la complice contre son gré.

On ne voudrait pas poser ses pas sur ces traces, sur les restes de ces corps, sur le souvenir de leur martyre. Impossible car mieux encore que tout ce qu’il reste des camps, c’est la terre d’Auschwitz qui conserve en son sein les traces, les restes, le souvenir de ce martyre.

1,2 millions de martyrs, des enfants, des femmes, des hommes, innocents, réduits en cendre au nom de l’idéologie la plus mortifère de l’Histoire, assassinés, pour l’essentiel, juste parce qu’ils étaient Juifs.

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Les leçons d’une telle journée sont éminemment personnelles, touchant au plus intime.
Je crois pouvoir affirmer, sans forfanterie, que ma connaissance de ce qui s’est passé à Auschwitz était, depuis mes plus jeunes années, supérieure à la « moyenne ». Et cette connaissance s’accompagnait d’une réflexion sur la signification de ces lieux et de ces faits. Mais, je dois avouer que je n’avais pas imaginé ce que j’allais ressentir sur place.

Faut-il encourager de telles visites ? Est-ce que chacun d’entre nous devrait s’y rendre pour constater par soi-même l’inimaginable ?

C’est une question difficile à laquelle je souhaiterais pouvoir simplement et définitivement répondre par l’affirmative.

Mais je sais, si je crois ce qui m’a été rapporté, que certains enseignants dans certains établissements, sur les conseils des autorités publiques, ont été contraint d’y renoncer par crainte qu’une telle visite pédagogique ait l’effet inverse de celui escompter, que certains jeunes, mal informés, influencés par de nouvelles poussées négationnistes ou révisionnistes, y voient, au contraire, la preuve qu’il est possible d’éradiquer des êtres humains à l’échelle industrielle.

Si c’est vrai, c’est inqualifiable et il convient de le dénoncer.

Et si c’est vrai, c’est bien la preuve que la préservation du Souvenir, l’entretien de la Mémoire sont l’affaire de tous, de tous ceux qui revendiquent leur appartenance à l’Humanité dans sa globalité.
A travers plus d’un million de Juifs, c’est bien l’Humanité, la Civilisation et la Modernité que les Nazis ont voulu éradiquer à Auschwitz.

Plus que jamais, face à la montée de ces nouveaux obscurantismes qui, à leur tour, menacent Modernité, Civilisation et Humanité, il appartient sans doute à tous les vivants de marcher pour que l’Histoire ne puisse en aucun cas risquer de se répéter.

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A la sortie d’Auschwitz II – Birkenau, nous remarquons la présence d’une équipe de télévision.

Un journaliste interviewe un homme. Jusque-là, rien d’exceptionnel. Rien d’exceptionnel sauf que cet homme n’est autre que Rainer Höss, le petit-fils de Rudolf Höss, commandant SS des camps d’Auschwitz, l’exécutant en chef de la Solution finale, responsable de tous les morts d’Auschwitz.
Manifestement affecté par le lourd passé familial, Rainer Höss, 49 ans, est devenu la coqueluche de certains médias allemands – et internationaux – dans sa quête de rédemption.

Pour Primo Levi, le grand-père de Rainer Höss, Rudolf, « un homme vide, un idiot tranquille et empressé qui s'efforce d'accomplir avec le plus de soin possible les initiatives bestiales qu'on lui confie, et qui semble trouver dans cette obéissance un total assouvissement de ses doutes et de ses inquiétudes ».

J’avoue comprendre avec difficulté que l’on puisse, ayant hérité d’un tel fardeau, d’une telle hérédité, opter pour l’exposition médiatique.

Rainer Höss mène une croisade personnelle pour la réhabilitation de son nom de famille. Entre autres initiatives, il s’est fait tatouer une étoile de David et les numéros de survivants qu’il a rencontrés.
En janvier dernier, Rainer Höss a été adopté. Il a été officieusement adopté par une Américaine, âgée de 80 ans et vivant dans l’Indiana, Eva Mozes Kor.

Eva Mozes Kor et sa sœur jumelle, Miriam, ont été déportées à Auschwitz depuis la Roumanie. Tous les autres membres de leur famille ont été assassinés, elles ont été soumises aux expériences médicales du docteur Mengele mais elles ont survécu.

Rainer Höss ne peut pas prétendre que son grand-père ne savait pas.

Compassion et contrition sont histoires de conscience… et Auschwitz impose à chacun un examen de conscience, un examen de conscience permanent. 

Saturday 25 April 2015

INTERVIEW - Marek Halter on Fighting Jihadism: "A war that will transform our way of life"

Meeting in Paris at his home with French author and activist Marek Halter. Sharing his frame of mind after recurrent Terror attacks and his views on the challenge offered by jihadism.




Franck Guillory: Three months and a half after Terror attacks orchestrated in Paris by radical islamists, over a month after murders in the Bardo Museum in Tunis, which is your own take on these events. What is your frame of mind?

Marek Halter: We shall always hope for the better… Read the Bible where it is written that, when creating a disease, God imagines simultaneously a cure for it. We, human beings, are not God and therefore we are certainly not as cautious and may take us time to conceive a response. But we will end up finding one.

Franck Guillory: Very early on, in the aftermath of Terror attack on Charlie Hebdo on January 7th 2015, French President François Hollande declared that “we are at war”. Others had already written or said it publicly… Do you consider that we are at war?

Marek Halter: Yes, it is a war but it is one different from the wars we have been confronted to so far.

Hitler was Hitler. The threat was identified and well known. Now we are confronted to an unprecedented threat with an enemy which seems capable to hit us anywhere and at any time.
More to the point, this enemy does not share at all our perception and conception of life and death. So far, with very rare exceptions, the enemies we have had to fight wanted to kill without taking the risk to be killed.

Nowadays, those who are threating us are not scared to be killed. On the contrary, they see their own death as a promise in after-life.

Franck Guillory: How did we reach such a point?

Marek Halter: This is not just a matter of human development, misery, suffering as still pretend some generous “beautiful mind”, as Hegel used to call them.

Radicalization and growing violence find their origin in a lack of prospect. There are no ideologies able to help people facing ultimate misery. Nothing, not even a “red sun on the horizon” as French poet Jacques used to say.

Franck Guillory: Isn’t this radical perception of Islam, which is also a perversion of Islam – we believe – an ideology in itself which has come to fill the gap left by the former domineering and then failed ideologies…

Marek Halter: It is the return of God, a return to God. When nothing is left, men put their destinies in the hands of God. “Inch Allah”, “God wishing”…

The second post-Second World War generation shares a huge responsibility through failing to offer some collective adventure, a renewed ideological adventure, some hope… In the name of God, some Muslims are now offering pour souls some adventure. These days, you can jump in a plane to Turkey, cross the Syrian border and find yourself wearing a uniform, handling a Kalachnikov machine gun and experiencing some sort of adventure.

There’s seemingly nothing else on offer and some souls, unconscious, ignorant don’t manage to resist the temptation.

Franck Guillory: How could we deter them from doing so?

Marek Halter: Governments have some options. Some means of deterrence do exist…
It is necessary to strengthen secret services, to expand their funding. We should, as an example, deploy a better control of social networks to counter jihadist propaganda.

We must target them where they are. And we should do so without underestimating the risk of fuelling jihadism and reinforcing our enemies through such military operations in Middle East and elsewhere where radical Islamism is spreading.

We are in a state of war, a war that is permanent and multipolar, a war that will transform our way of life et a war that risks forcing us to restrain our civil liberties. Attack after attack, we are losing ground on two centuries of gain in term of rights and liberties.

Marek Halter is born in Poland in 1936. Having fled the Jewish Warsaw Ghetto, he returned to the Polish capital city after the war and then moved to Paris in 1950.

To learn more: The Wall for Peace




Friday 24 April 2015

Migrants crisis more than a humanitarian crisis... and again the US let Europe down

One minute of silence to open an emergency meeting of the European Council and the 28 EU leaders declared “war” on human traffickers. It was on Thursday April 23rd, it was in Brussels.


Statistics have made headlines for days. So far, in 2015, 1800 boat people, migrants fleeing their impoverished and war-torn countries, from Africa, the Middle East or further away have died in the Mediterranean Sea dreaming of Europe.

Understanding what is at stake

Let’s leave apart the valued question of the doubtful validity and expected efficiency of the various measures announced yesterday in Brussels. We know for sure that few vessels patrolling the deep sea and even some bombing on the Libyan shores won’t solve this unprecedented crisis. And one legitimately wonders whether we are not facing the danger of getting the arguments completely wrong? I suspect we are but I understand that admitting the truth leads us, collectively, in scary, unknown territories…

On the Frontline

So we are at war. We are at war but not just any more against some mafias of human traffickers taking advantage of some poor souls heading north and west in hope of a better future. Migrants in 2015 are not just fleeing poverty and more and more among them escape the seemingly ever-extending tyranny imposed by Daesh and its accomplices.

We are at war, we have to name the enemies and address the threat as such. We are at war against Islamist radicalism, the Islamo-fascists, all those fighting, from Syria and Iraq to Nigeria, Mali and Libya, and to the streets of Paris, to destabilize the modern civilized world and impose their totalitarian dystopia of a global Caliphate.

Europe is challenged and weakened

Taking advantage of the perceived “European dream” still vigorous outside the Continent, human traffickers contribute to destabilize Europe and its democracies. The migrants crisis adds to the unprecedented pressures faced by national governments and the European Union to preserve social unity, economic welfare and political stability. One more challenge – and one to do with our sense of humanity – in a series of challenges to which we’ve been finding pretty hard to respond.
So Europe is to try to bring some solutions. But what is to be done to respond to the broader challenge that are the ongoing attacks on our way of life, on what symbolizes and implies our modern civilization?

A global response

The broader challenge is a global challenge and a global challenge requires a global response. Outside Europe, silence has been deafening over the course of the past few days. And before, the demonstrations of unity in the aftermath of January’s terror attacks in Paris seem to have been follow by no good concrete plans to fight the battle forced on us all.

Déjà vu

And on the international stage, Europe has special expectations from a “special” relationship. But where are the United States? Where is Barack Obama? Surely, US troops are leading the International coalition targeting Daesh at the core of its self-proclaimed Islamic State but it is not good enough. Not good enough as air bombing appears to be deeply insufficient to annihilate the threat and not good enough as the threat has been since spreading through a collection of franchised “companies”.


What about Libya ? What about the Mediterranean nightmare and the pressure on Europe? If the United States are to let a frontline Europe deal all these issues, they are just postponing the time when the gathering storms will reach their own shores. Déjà vu…  

Thursday 23 April 2015

An answer to Marine Le Pen - I am French and I do speak English... I even sometimes dream in English


If Time Magazine is considering establishing a new annual list for “The most stupid political comment of the year”, Marine Le Pen is surely a great contender for a Top 10 rank. All dressed up in cheap marine blue on the red carpet at the 2015 Time 100 Gala in New York last Tuesday, she couldn’t find any other explanation to her lack of fluency in the local language than an arrogant and poor “Oh no, I don’t speak English, I’m French !”.  

I’m as French as the leader of France’s far-right - with whom I also share roots in Britanny – and I’m proud to say that I do speak English. I do speak English, I do try to write in English and, some nights, I do even dream in English. I do all of this and when doing so I don’t feel less French. The contrary actually.

To please "her" people

Unsurprisingly this comment by a shrewd politician aspiring to run her country would have been expected to go down well with her constituents. They would have probably liked her provocative defiance of the global language right in the center of the first iconic city of globalization. And she had a pretty dress, sort of…

Right. Top to bottom of the society, most of my fellow citizens can’t speak - or even understand - English. Last December, a study sponsored by the language company EF Education First ranked France 29th out of 63 countries for English proficiency – and even worst 21st out of 24 European countries. Even if Education First focused on adult population – and therefore it could give hope in the younger generations -, there is nothing to be proud of.

An outdated "cultural exception"

Wrong. Language studies have never been a priority in France’s school curriculum. Until 10 years ago, French kids would only start learning English when entering secondary education at age 11 – or 13 for some 10 per cent who would favour German, Spanish or some other languages as their first. English courses entered most of primary schools as late as 2007 and it only became compulsory from age 7 in September 2014.

Wrong. France’s television channels hardly ever broadcast films or programmes in English. And in cinemas most films, especially Hollywood blockbusters, are dubbed – even quite well dubbed. Such monolingual obsession – coupled with some sort of insular syndrome - amazes our fellow Europeans in Belgium, the Netherlands or elsewhere in Scandinavia. Make your bed sleep in it.

And it shows that nowadays the few French people reaching the top of the international stage in their fields are those who comply with the absolute necessity to express themselves in some sort of English, not be it Shakespeare’s or the Queen’s one. This is how it is in the globalized world we live in and there is no point turning a blind eye on this phenomenon.

Never surrender though

Speaking English, making the effort to speak English to be understood by a broader audience does not diminish one’s Frenchness – or anything else-ness actually. And to go further I would almost argue that I am never as French as when I speak English as somehow it gives me the opportunity to convey what it is to be French to people who can't always understand what it means and implies as they don’t speak French and are not French. I do value this deeply.

Speaking English doesn’t prevent me from battling for a broader use of French in countries or organizations where French used to be historically more broadly used. And speaking English doesn’t prevent from considering that English should not turn into “Globish” the one and only language of a one World. Learn English but also learn Chinese, Arabic, Russian, Spanish and so on. It would help in times of deeper misunderstandings.


Spin doctors got it wrong as Marine Le Pen would have stunned her audience – and the World – by somehow regretting shamefaced her lack of fluency. And once again she could have easily blamed the Gallic establishment… and probably some bureaucracy in Brussels. Instead she has preferred to wave the flag with arrogance and stupidity just as if not speaking English would always remain a prerequisite to sit at France’s presidential desk. 
 
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